Se laisser bouleverser
Qui parmi nous souhaite être bouleversé? Le mot bouleverser suggère de vivre un grand désordre alors que tout se retrouve sens dessus dessous en nous.
« Être bouleversé » révèle donc un changement profond subit dans notre vie, un changement qui nous oblige à chercher ou à redéfinir nos points de repères. À une situation imprévue et non désirée, il nous faut réagir spontanément. Cela se produira à la suite du vide laissé par la mort d’un être cher, un accident, une maladie, une souffrance intense, un échec. Toutes ces situations nous secouent rudement et nous broient de l’intérieur. Elles provoquent angoisse, déséquilibre et douleur.
Qu’en sera-t-il alors de « Se laisser bouleverser »? Étrangement, la même situation vécue devient toute autre. En se laissant bouleverser, nous accueillons la situation plutôt que de la subir, nous la recevons sans la combattre et choisissons de la vivre librement au lieu d’en être prisonniers.
Se laisser bouleverser, c’est se laisser émerveiller, accueillir, transformer. Pour y parvenir, il faut dépasser la situation en ne tenant pas compte de l’effet de surprise, de ce qu’elle revêt de mauvais, de la souffrance qui lui est associée, mais plutôt en tentant inlassablement d’y voir le beau, le bon et le bien.
C’est par ce regard que l’on débouche sur ce qui était caché au départ, impensable même. Ce regard nourrit, fait croître, permet d’avancer, puis de croire en un Autre qui est à la fois origine de la vie et Celui qui en donne sens. Un Autre qui nous aime inconditionnellement.
S’il est vrai que chaque matin, tout recommence, comment nous laissons-nous bouleverser par cette beauté qui nous entoure? Comment accueillons-nous ce jour nouveau alors que nous n’en sommes qu’un modeste témoin? Alors n’en est-il pas de même de chaque instant vécu, ne peut-il pas révéler l’éternité?
« Je t’ai choisi dans un amour éternel et Je t’ai attiré à moi. »
(Jérémie 31, 3)
Tout se joue dans cet abandon où l’émotion nous envahit et où nous n’y opposons pas de résistance. Nous nous laissons aller dans la confiance en relâchant l’emprise de la peur. Nous parvenons ainsi à goûter à l’instant présent et le vivons pleinement en étant juste là.
Le Christ ne s’est-il pas laissé bouleverser ainsi devant la douleur, le mépris et le rejet des laissés-pour-compte? Il n’a pas fait semblant et ne s’est pas dérobé, Il n’a pas prétendu qu’ils n’avaient pas de valeur. Au contraire, Il a tourné son regard vers eux et s’est laissé bouleverser en les voyant. Il s’est arrêté pour s’unir à leur misère, a osé les aimer et voulu leur redonner leur dignité humaine.
Est-ce que le Christ ne fait pas de même avec nous chaque jour? Particulièrement lors de nos bouleversements? Ne nous attend-il pas pour nous rencontrer là où nous sommes et comme nous sommes?